Il serait difficile de livrer la technique de ces photographies. S'agissant de surimpression à la prise de vue donc d'un travail en aveugle, on pourrait parler d'intuition ou d'anticipation, dans une sorte de cuisine de l'imaginaire où une fois les ingrédients bien dosés, il suffit d'attendre la fin de la cuisson. La comparaison entre ce travail photographique et un travail identique mais qui serait effectué a posteriori avec l'ordinateur est intéressante et peu apporter quelques éclaircissements : Bien entendu j'ai cru pouvoir me débarrasser de la surimpression, méthode hasardeuse et imprécise. Parallèlement à ces images j'ai réalisé de simples vues, comme un matériau accumulé pour un traitement numérique ultérieur. Après quelques heures passées devant l'écran à les empiler en calques, les associer, triturer, déformer, pour en extraire un minerai plus riche, je n'obtins qu'une déplaisante vision de ma chimère. Où est le pourquoi de ce dysfonctionnement ? Tous les ingrédients sont là, avec l'avantage de les diriger plus efficacement, mais il manque quelque chose dans l'acte lui même. S'agit-il du phénomène de la prise de vue ? Une association de formes distinctes, par la surimpression, produit un résultat supérieur à la somme des parties, tout comme les harmoniques dans la musique. La qualité d'apparition de ces harmoniques visuelles se règle en fonction du degré d'hétérogénéité des éléments concernés. Si le matériau est trop hétérogène, comme celui venant d'une banque d'images, il n'y a pas de synthèse. Même avec des vues simples prises sur le moment, avec le même sujet, il n'y a plus que des instants isolés en eux mêmes, définitivement fixés. Et il semblerait que l'intimité des instants entre eux, unis par la surimpression sur la même partie de pellicule, est primordiale, plus encore que la similitude des formes et des espaces photographiés. La prochaine version de la chimère se fera avec sa chair vivace associée à la matière froide du métal ou du verre. Ce sera une chimère bourrée de prothèses, les essais sont prometteurs.
Finalement, la qualité essentielle de cette méthode de prise de vue est le travail en aveugle. L'imagination n'a pas besoin de la vision, elle fonctionne beaucoup mieux sans elle. L'imaginaire est un monde simple et si on n'y arrive pas directement ainsi, on risque de se perdre à vouloir le maîtriser par d'autres moyens. Albert Lemoine
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