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Surimpressions imaginaires
 

         Les images de la série des animaux (1989-1995) ont été réalisées en argentique par surimpressions à la prise de vue.

         Le fait de travailler sur le vif est essentiel pour ce sujet. Le but étant de créer un espace imaginaire, authentifié par la photographie ainsi que par la liberté de chaque animal.

         Le viseur de l'appareil de prise de vues est divisé en parties. Chaque zone, c'est à dire chaque partie de l'image future, peut être impressionnée indépendamment des autres. Un cache placé devant l'objectif isole un ou plusieurs endroits et l'image est ainsi construite au fur et à mesure de l'impression de chacune de ses parties.

         La composition de l'espace n'est pas prédéfinie. Elle se forme en fonction de la diversité des sujets et de la relation qu'entretient le photographe avec eux.

         Maintenant, pourquoi utiliser cette technique rudimentaire plutôt qu'une collection d'images existantes retouchées sur l'ordinateur ?

    Il y a quelques raisons :

         Cela va beaucoup plus vite. C'est sans doute moins précis qu'avec les brosses, tampons, calques... de Photoshop, mais quand le cache est positionné, les raccords entre les différentes zones se font parfaitement. Et comme pour le lasso avec contour progressif de la sélection, ici le cache sert de lasso et le contour progressif se règle par l'ouverture du diaphragme. Plus le diaphragme est fermé plus le contour est précis. Ainsi, c'est très excitant de pouvoir utiliser son appareil comme avec Photoshop.

         Une autre raison, et non la moindre, est que l'on peut travailler in-situ, entendre le cri des oiseaux, sentir la chaleur du soleil, le parfum des sous-bois. Je plaisante, cela ne se transmet pas dans l'image, mais celle-ci, dans la métamorphose de l'espace, garde un coté vrai ; il y a l'unité du lieu, de la lumière, il y a l'esprit du lieu. Pour créer une image, tout est présent à nos yeux et on peut tout imaginer. Alors qu'une collection de photos issue d'une banque d'images serait forcément hétérogène. Elle donnerait une suite de collages, peu cohérents et artificiels.

         Le but est de photographier ce que j'imagine à partir de ce que je vois. Il ne s'agit pas tant d'une création mais seulement d'une translation, une sorte de métamorphose discrète qui s'opère dans la simple continuité de la prise de vue.

         L'impression de naturel, quand elle est réussie, permet le déploiement de l'imaginaire, du plus discret au plus invraisemblable. Elle est aussi renforcée par l'impact de la photographie comme "preuve du réel". Nous avons affaire en définitive au phénomène paradoxal de "l'imaginaire photographique", et par une continuité du sens, la photographie authentifie l'imaginaire de la même façon qu'elle authentifie le réel. A la fin, dans ce qui nous est donné à voir, il suffit d'apprécier à leur juste valeur ces choses, qui en dehors de la photographie, n'existent pas.

Albert Lemoine
1999

 

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