Correspondance

Simon Ortner - mars 2024
Les choses tombent
Dans l'espace vide de l'abstraction. Ta photographie aide à ce que le tableau pèse et tombe aussi. Mais le plus intéressant de ces actions se trouve dans la peinture. Il est en effet difficile de donner une notion de mouvement, de pesanteur de gravité à des formes abstraites même si elles sont dessinées sur un espace vertical les orientant forcément vers le bas. Toutefois elles restent statiques. En extrapolant, il suffirait d'un rien pour que s'accentue le léger déséquilibre pressenti, que ces formes glissent légèrement et devenant d'un coup des choses elles se mettent à tomber vraiment. Des choses qui tombent.
Mon interprétation peut paraître gratuite absurde. D'autant plus qu'elle se démarque et s'éloigne d'emblée d'une simple appréciation objective qu'on attend dans un commentaire. Pour ce qui suit on constatera aussi qu'il s'agit surtout d'une projection de préoccupations personnelles dans un cadre conceptuel particulier, celui dans lequel je veux réfléchir. En effet il permet de décrire un phénomène difficile à cerner autrement que par un exercice de pensée, à un autre niveau d'abstraction que celui de la peinture. Ce phénomène une fois nommé sort des brumes de l'esprit, il apparaît très simple, évident, avec des correspondances étonnamment matérielles, comme d'éprouver le poid des choses. D'autre part je crois que si cette peinture fonctionne aussi bien, c'est grâce à sa dynamique, la qualité d'équilibre, ou plutôt du déséquilibre anticipé, afin que dans l'espace formel et abstrait de la peinture, les choses puissent tomber réellement.
Je m'attarde encore un peu, car dès l'instant où j'ai vu ce tableau, les choses autour de moi à la périphérie de mon regard se sont mises à glisser imperceptiblement. Non, je plaisante. Voilà une expérience qui dans le principe de réalité pourrait donner le vertige et devenir dangereuse .. Je vais rester dans le contexte formel du médium, celui de la peinture, de la photographie ou autre, avec une limitation bien sûr, dans le cinéma ce serait tricher, pour exprimer l'idée du mouvement dans son acceptation étendue. Aristote considérait que le nature principale du mouvement n'est pas le déplacement (d'un point A vers un point B), mais dans l'idée de croissance : "Le mouvement est l'acte de ce qui est en puissance en tant que tel". Ainsi de la croissance des arbres, elle aussi comprise dans le cycle de la vie et de la mort. Cet enrichissement du concept procure à l'artiste une faculté très importante car elle lui accorde avec la puissance de l'imaginaire une immense liberté pour montrer des phénomènes qui autrement resteraient inertes. Que cela soit conscient ou intuitif, peu importe du moment qu'il le réalise. Ainsi de mon coté, en tant que photographe je me suis fait un sacerdoce de photographier essentiellement des choses qui n'existent pas.
Par analogie avec la peinture, ainsi qu'avec l'idée du mouvement en puissance qui nous "entraîne à" ou nous "entraîne vers", je voudrais donner un exemple sous forme d'allégorie, tiré de ma propre expérience, où l'on s'apercevra qu'il n'y a pas que la gravité qui attire, celle-ci n'étant pas seulement verticale mais tout aussi bien horizontale, et surtout intérieure. Nous sommes à nous même, intimement, une planète.
Il s'agit d'une histoire photographiée intitulée : "Enquête sur une Série Noire".
Un jour que je me promenais le long d'une rivière, je fus intrigué par son aspect très sombre et son eau quasiment noire sous les reflets. Arrivé à l'endroit où elle s'enfonce dans la montagne, devenant souterraine, je poursuivais quand même mon chemin comme si mon œil avait l'habilité à suivre sa trace à l'intérieur de la cavité, sur les rives de ce qui se prolongeait en une longue caverne. En marchant on invente son propre regard. Puis en les suivant dans l'eau j'ai commencé à voir les choses tomber. C'est vrai qu'elles étaient entraînées par le courant, mais aussi elles coulaient doucement. Plus tard, en travaillant sur les prises de vues de cette aventure je m'attachais à retranscrire, à redessiner le mieux possible mon intuition, cette forte impression de la gravité qui bien qu'aveugle m'avait remis les pieds sur terre dans mon étrange déambulation imaginaire.
Si on fait la part des choses, les médiums étant tellement différents, peut-être on y verra des correspondances avec la notion de mouvement et d'équilibre dans cette peinture, ou pas. Dans la cosmologie de l'esprit, les planètes s'attirent depuis leur centre mais tournent sur des orbites différentes en s'éloignant les unes les autres inexorablement. Et nous, finalement, où sommes nous ?
Le lien se trouve ici :
http://photo.imaginaire.free.fr/serie-noire&01.htm
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