INDEX
A propos de cette image :
La
perspective
temporelle
J'utiliserai
cette image ancienne (avant l'usage de la photographie numérique) pour
élucider la question de la perspective temporelle dans la photographie.
Une illustration idéale qui va me permettre d'entrer directement dans le vif du sujet,
ou comment cristalliser l'espace et le temps dans une perspective à la fois spatiale et temporelle.
Une perspective temporelle
dans une image est une
illusion, comme la profondeur dans la perspective spatiale, mais à un niveau plus abstrait ; elle ne peut être perçue
directement, et elle est seulement comprise par déduction. Comme elle est radicalement incompatible avec l'espace
instantané de la photographie, elle se montre tout en ne se montrant pas,
une illusion dont la nature est pour nous spectateur de ne pas exister. Je retrouve
cette idée agissante depuis le début : photographier ce qui n'existe pas.
Maintenant pourquoi cette image ? Et pourquoi avoir fabriqué
une telle image ? A l'époque, je ne réfléchissais pas sur le fond, je jouais sur la forme, engageant le pari de formuler
en photographie des paradoxes a priori techniquement impossibles à résoudre.
Justement les moyens techniques étaient très simples et rudimentaires, donc totalement ouverts à l'invention.
Un Nikon argentique et la méthode de surimpression à la prise de vue. Aujourd'hui la technique numérique est tellement perfectionnée qu'elle
impose partout ses solutions, alors on n'invente plus, on perd l'idée même d'invention qui devrait toujours commander et agir en
amont de l'utilisation de toute technique.
Au sujet de cette photographie, composée avec six diapositives, je ne
l'ai jamais
exploitée car je la trouvais imparfaite, et je n'avais pas eu
l'envie de
refaire les prises de vues. Il s'agit d'une pièce de la maison, la bibliothèque,
donnant sur le salon par une grande ouverture dans le mur. Depuis ce point de vue, il y a
le premier plan, le mur de la
bibliothèque, et l'arrière plan du salon. Cela est tout à fait
vraisemblable. Alors pourquoi une composition si compliquée
afin de ne proposer finalement qu'une image de la réalité ? Pas tout à fait. Profitant de la
disposition particulière des lieux et du point de vue sur ces deux pièces
en enfilade, je m'étais fait le pari de montrer un premier plan qui
soit le même que l'arrière plan.
Dans la réalité ce sont deux endroits différents, alors que dans la
photographie il s'agit de la même chose. En quelque sorte, je fais voir un espace s'ouvrant
sur lui même !
Donc il
ne s'agit pas exactement du mur de la bibliothèque, si juste un peu, autour de
l'ouverture où le mur est bien blanc, mais après à la
périphérie là où le mur est plus gris, ce n'est plus la même chose. Si on regarde bien, on remarque que les deux grands luminaires du
premier plan ainsi que les tableaux à coté, sont les mêmes que ceux au fond
du salon, de chaque coté de la cheminée. La seule différence est que
devant ils sont éteints et près de la cheminée ils sont allumés...
Il y a aussi la lampe à abat-jour jaune, à droite au premier plan qui est la même que celle
à droite de la cheminée. Etc... j'ai sur-impressionné deux fois chacune des six diapositives,
pour juxtaposer l'espace central du salon avec lui-même, en le ramenant
au premier plan du mur de la bibliothèque. La limite de la
surimpression et donc de la juxtaposition se voit dans la différence entre le blanc du mur près
de l'ouverture et le mur plus gris à la périphérie. Normalement on
n'aurait pas dû voir cette différence, ce qui aurait été bien plus intriguant, c'est pourquoi
je trouvais la photo ratée. Et aussi à cause de certains objets comme
la plante verte qui disparaissent dans cette limite. L'illusion d'un seul espace
perspectif aurait due être parfaite.
Pourtant dans cette première étude
il y avait toutes les promesses pour la suite, en affinant juste ce qu'il
faut sans en montrer trop. Avec aussi d'autres correspondances plus
symboliques : Entre la
grande ouverture de la bibliothèque et au fond en son centre lointain,
le
trou noir et profond de la cheminée.
En comparaison avec les autres
images de cette époque, celle-ci était
dans son principe, la plus accomplie. Il y avait une correspondance et une adéquation
entre les deux perspectives, spatiale
et temporelle. On pouvait vraiment parler de premier plan et d'arrière
plan temporel. La démonstration est peut-être moins subtile que dans
une vue du même paysage où j'assemble des moments différents. Mais on
voit que la dimension
temporelle dans la photographie peut se déployer de plein de façons, il reste à lui trouver
d'autre principes de portée valable et pertinente. Enfin organiser tout cela.
albert
Conversation sur le groupe de discussion fr.rec.photo :
GhostRaider :
C'est une image intéressante,
mais pourquoi parler de perspective
spatio-temporelle ?
Je ne vois pas la dimension du temps, comme celle qu'on peut remarquer
sur certains panoramas où la même personne se voit plusieurs fois.
Il s'agit plutôt d'une sorte de mise en abîme et pour lui donner une
dimension du temps, il y faudrait un chat qui se promènerait dans les
deux plans.
albert :
Tu
as bien raison d'introduire le chat. Comme le Chat de Schrödinger, il
aurait parcouru cet espace temporel où il serait malheureusement à la
fois
mort et vivant.
Voir l'expérience :
"Un chat est enfermé dans une boîte avec un flacon de gaz mortel
et une
source radioactive. Si un compteur Geiger détecte un certain seuil de
radiations, le flacon est brisé et le chat meurt. Selon l'interprétation
de
Copenhague, le chat est à la fois vivant et mort. Pourtant, si nous
ouvrons
la boîte, nous pourrons observer que le chat est soit mort, soit
vivant."
Donc, oublions le chat, c'est plutôt une façon
discrète de faire
intervenir le temps dans l'image, ici quand les luminaires sont à la
fois
allumés et éteins.
Il faudrait chercher d'autres références sur le
sujet. La plus belle que
je connaisse se trouve dans le recueil de nouvelles de Borges,
"l'Aleph".
Celle qui s'appelle : "Le jardin aux sentiers qui bifurquent".
Il s'agit là
d'un labyrinthe temporel. A relire encore une fois.
Stephane
Legras-Decussy :
Expérience pour
montrer que l'interprétation de Copenhague est fausse...
mais beaucoup de gens comprennent que le chat est effectivement vivant
et mort simultanément... :-)
albert :
Le chat est soit mort, soit vivant, tu as
raison, mais seulement une fois
qu'on a ouvert la boite, ce qui ramène à une interprétation physique
pour
décrire un phénomène purement quantique. Or le chat n'a pas de propriété
quantique, donc pour l'école de Copenhague cette expérience n'a pas de
sens.
Donc oublions le chat, comme je le dis plus haut. Je préfère utiliser
dans
mon image une lumière allumée et une lumière éteinte. Ce n'est pas
la
même lumière, alors qu'un chat répété dans l'image, c'est le même
chat
vivant. J'aurais été très malheureux de devoir tuer mon chat pour le
mettre
dans l'image à la fois mort et vivant.
D'autres propositions sur cette expérience
peuvent être rigolotes à mettre
en scène : L'expérimentateur devant la boite fermée et plus loin
devant la
boite ouverte avec un chat qui en sort, ou pas. Ou alors l'expérimentateur
répété devant sa boite, mais cette fois avec les deux boites
ouvertes. Du
point de vue du photographe, on ne peut pas voir ce qu'il y a dans les
boites. Par contre on voit que d'une des boites sort un chat...
La perspective temporelle est un pur produit de
l'imaginaire. Cela n'a rien
à voir avec la physique, même quantique, et pour ce qui concerne
seulement
la photographie, je voudrais parler de ce phénomène de répétition
qui, comme
d'autres subterfuges, fait intervenir le temps dans l'image et qu'il est
utile d'étudier pour mieux le maîtriser.
Quand on pratique la photographie par
assemblage, on est souvent amené à
utiliser la répétition, la superposition, comme dans la superposition
quantique. C'est amusant mais on en a vite fait le tour. Un peu trop
cousu
de fil blanc. C'est beaucoup plus intéressant quand il y a une ambiguité,
que
l'on ne sait pas exactement ce qu'il se passe. Maintenant, quand
j'utilise la répétition,
je pratique systématiquement l'ambiguité, quitte à repeindre les éléments
quand
ils sont trop similaires.
Dominique :
Cette expérience a
surtout pour vocation de présenter les paradoxes de
la physique quantique. Un même objet peut avoir, au même moment, 2 états
différents. Cette affirmation heurte certes le sens commun et je ne me
risquerai pas à la démontrer.
Cela dit, le temps qui s'étire et la masse qui augmente lorsque la
vitesse s'élève n'est pas simple non plus à démontrer.
GhostRaider :
On sait tous d'expérience
vécue qu'un kilo de plomb est plus lourd qu'un
kilo de plume, ce qui est facile à démontrer puisqu'il tombe plus
vite.
Pour en revenir à la photo d'Albert, elle démontre qu'une lampe peut
être à la fois éteinte et allumée.
Stephane
Legras-Decussy :
> une lampe, dans
un même temps, ne peut être allumée et éteinte.
c'est pourtant théoriquement le fonctionnement des ordinateurs
quantiques.
un bit quantique est en même temps à 0 et à 1, donc avec
8 bit quantiques tu as 256 valeur simultanées.
en additionnant 2 nombres à 8 Q-bits, tu fais donc
toutes les additions possibles en même temps... on imagine la puissance
de calcul...
GhostRaider :
Même sans aller
chercher les ordinateurs quantiques, ma femme est
capable de parler de plusieurs choses en même temps, ce qui doit
d'ailleurs être le cas du chat de Schrödinger (retour en charte).
albert :
Excellent ! "parler de plusieurs choses en même
temps" j'aimerais bien
entendre ça. En ce moment je fais un jeu très drôle avec des chats
qui
parlent, mais pas en même temps. Toujours à propos du chat, je viens
de trouver un commentaire sympa et simplifié sur l'expérience de
Schrödinger :
https://cercle.institut-pandore.com/physique-quantique/chat-schrodinger-superposition-quantique/
où on voit que effectivement le chat n'a pas de propriétés quantiques
et
donc l'expérience ne démontre rien car elle se passe en dehors du
domaine de
la physique quantique. CQFD.
Stephane
Legras-Decussy :
Un électron a “x%
de chance d’être ici, y% d’être là, z% d’être ici ou
là”. Mathématiquement, cela se traduit littéralement par : “l’électron
est aux trois endroits en même temps“."
désolé mais c'est n'importe quoi là... je suis chez moi,
tu ne me vois
pas, j'ai 50% de chance d'être dans mon lit, 40% dans le séjour, 10%
dans la salle de bain. Je suis pourtant à un seul endroit en même
temps.
l'indétermination de ma position ne fait pas que je suis partout à la
fois !
GhostRaider :
Exactement. Je crois
que la simplification est un peu excessive, là.
albert :
Je
ne sais pas à vrai dire. Je retiens seulement que la probabilité d'un
effet
quantique qui se mesure mathématiquement, le seul outil capable de
mesure
dans ce domaine, est qu'une particule peut être à la fois ici et là.
En
sortant de ce domaine quantique, on ne peut pas être à la fois dans la
salle
de bain, dans le lit, ou le séjour. Effectivement. Mais on est sorti du
domaine de la physique quantique, on traite d'un sujet avec des critères
qui
ne lui correspondent pas. Tout comme le chat de Schrödinger qui n'a pas
de
propriétés quantiques et ne peut donc infirmer cette hypothèse d'être
à la
fois mort et vivant. Il est forcément mort ou vivant dans le domaine de
la
physique, mais pas dans celui de la physique quantique. C'est amusant d'être
amené sur ce sujet à partir d'une photographie à des milliers de
lieux de
tout cela. Je retiens juste cette idée que l'invention en photographie
est
primordiale. On est des photographes et même sans s'en rendre compte,
on
invente le monde qu'on photographie. Ce monde est vraiment ouvert, on
peut
faire tout ce qu'on veut.
GhostRaider :
Je pense que notre
grosse difficulté c'est de ne pas pouvoir imaginer le
passage d'un état quantique à un état physique. Où la frontière se
trouve-t-elle, s'il y en a une ?
Un atome est plein de vide et pourtant si un kilo de plomb me tombe sur
la tête, je le sens très bien.
A partir de quel échelle de grandeur passe-t-on de la probabilité à
la
certitude ?
Stephane
Legras-Decussy :
Il n'y a pas de frontière, tout est probabilité, elle
est juste parfois de 1.
INDEX
|