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           Format original : 180 x 115cm / 400dpi

    A propos de cette image :

    Qui suis-je ?

    Je n'arrive à rien dire sur ce Chablis hystérique que je découvre dans la photographie. J'ai l'impression qu'il est seulement obnubilé par lui-même, je dirais presque qu'il ne me regarde pas.

    En poursuivant une discussion sur [ fr.rec.photo ] j'ai vu émerger une idée qui à mon avis illustrera parfaitement la situation. C'était au départ une conversation sur la représentation du corps dans les images de culturisme. Et puis est apparue l'idée du "regard absent de mes arbres". Cela me donna beaucoup à réfléchir... En voici des extraits, transcrits dans la suite des interventions :

albert à Ghost-Rider :

    ...Par ailleurs, la représentation du corps objet telle qu'on la ressent 
dans ces photographies de culturistes, n'est pas à l'avantage de cette 
discipline. Dans leurs images, on ne voit que le corps, alors que pour moi 
on a affaire avant tout à un portrait, même si ce n'est qu'un portrait du corps,
où ce qui compte c'est le regard. Même les objets peuvent avoir un regard ; je
le sais bien, quand je photographie des arbres c'est parce qu'ils me regardent,
d'ailleurs je pense de plus en plus que ce sont eux qui me photographient. Leur
regard n'a pas besoin du mien pour arriver directement dans la photographie.

    Tiens justement, en écho, j'ai entendu ce soir à la radio des bribes de la 
conversation de Antoine d'Agata. C'était dur avec les braillements des gosses 
pendant le repas, mais j'ai retenu ceci :

"Je laisse mes modèles faire les photographies eux mêmes, car justement
vous comprenez, moi je contrôle trop"

    J'ai trouvé cela génial, et tellement vrai. Il ne faut pas vouloir contrôler les
choses, surtout quand on est photographe.

    Ce qu'on a perdu de la photographie argentique, c'est l'absence de 
contrôle direct à la prise de vue. C'est le mystère et le risque de 
déclencher sans résultat immédiat. Ca n'a l'air de rien mais c'est très 
important. Une attitude, une discipline de mise en retrait et d'attente,
qu'on a oubliée maintenant.

Ghost-Rider :

    Tu montres là des présupposés sur le culturisme, car as-tu réellement 
cherché à capter le regard de ces gars ?
Crois-tu que derrière ces regards, pas toujours vides heureusement, il 
n'y ait pas quelque intelligence ?
Prends cette photo d'Arnold (Schwarzenegger), l'une des rares où il
compose son regard.
Pourquoi y en-a-t-il si peu ? Parce qu'il n'a pas besoin de prendre 
l'air intelligent, il l'est, comme tous les autres grands champions, 
d'ailleurs.
    Mais pour capter cette intelligence, largement dissimulée et à dessein, 
il faut chercher à voir, non pas le regard, mais dans le corps de ces 
gars le chemin parcouru, comme toi tu le fais, devant les regards 
absents de tes arbres.

albert :

    Je le reconnais, c'est assez juste. Le regard du corps. Même les corps
peuvent avoir un regard. Pourtant celui-ci ne nous parvient pas car dans le
désir qu'on a d'être au
monde, il n'y a qu'un puissant besoin de possession,
des choses dont on ne pourrait admettre qu'elles puissent nous retourner le
propre regard qu'on a sur elles. En ce sens on ne peut que constater notre
absence au monde, au moins par cet aspect, de l'impossibilité du partage,
de la communion du regard. C'est pourquoi de mon coté en admettant cette
nécessité, je laisse les arbres me photographier. Que leur regard apparaisse
au moins dans la photographie. Et ces gars là, dont on parle ici, de l'image de
leur corps, devraient aussi comme le trop rare Schwarzenegger, laisser plus
souvent leur corps les photographier.

FiLH à albert :

(>C'est pourquoi je laisse les arbres me photographier.)
    Et c'est parce qu'ils sont nombreux que cela donne cette vision
démultipliée...

albert :

    Je n'ai pas pensé qu'une idée que je ne comprenais pas moi même 
puisse avoir une réponse. Ta réponse bien sûr je la comprends encore moins. 
Je n'aurais jamais dû écrire un truc pareil, c'est à devenir fou.

FiLH :

    Je ne sais pas la forêt comme le palais des glaces dans une foire
foraine pour toi tout seul...

albert :

    Je comptais bien sur toi pour donner une explication, merci.

    Il y aurait dans le palais des glaces qu'est notre conscience, l'angoisse
indécise et apparaissant démultipliée de ne pas être vraiment là, comme dans
une forêt où l'on ne peut voir le reflet de son propre regard dans celui absent
des arbres (GR, merci encore). Heureusement pour le photographe, ce
sentiment ne lui parviendrait qu'à la prise de vue, mais dans ce cas et en général,
sa conscience est suffisamment accaparée par la nécessité de concentration
sur l'appareil photographique, qu'il se met de lui même en retrait de cette
appréhension et n'a donc pas à en souffrir.

    Heureusement encore, et c'est peut-être dans la photographie elle même 
qu'il pourra plus tard se retrouver. Il faut savoir que dans la forêt, certains de ses
sujets nous attirent plus que d'autres. Ce sont eux qui reviendront ensuite à travers
leur image nous regarder en prenant des allures étrangement anthropomorphiques,
comme si ils venaient enfin et seulement là nous découvrir.

    Cela rejoint l'idée exprimée plus haut, et en apparence très farfelue, 
que ce sont en fin de compte les arbres qui me photographient...

    La photographie est un medium à double détente. Pour le chasseur 
d'images que je ne suis pas, et que malgré moi je deviens, il me faut tirer 
le premier coup au jugé de la prise de vue, sans vraiment de contrôle, et
ensuite seulement au deuxième coup, dans l'image, je peux achever la bête,
ou plus sûrement : C'est elle qui m'achève.

FiLH :

(> Cela rejoint l'idée exprimée plus haut, et en apparence très farfelue,)
(> que ce sont en fin de compte les arbres qui me photographient...)

    Il y a une chose qui m'a étonné quand je l'ai expérimenté et qui
m'étonne quand d'Agata obtient le même résultat : en donnant l'appareil
au modèle on obtient des photos indiscernables de celle faites par le
photographe.

albert :

    C'est sûrement vrai, dans le relation entre le photographe et son
modèle, quand elle est juste on est en état de la vivre en grande partie
dans une projection réciproque et parfois fusionnelle.

    Enfin, c'est difficilement vérifiable, encore plus quand le modèle est
un arbre, car avons-nous déjà vu un arbre faire de la photographie ? C'est
seulement une façon de parler, dans le cas d'un arbre, une tournure
d'esprit particulière par laquelle on veut accorder autant d'esprit aux
êtres et aux choses, ou plus simplement qui donne la faculté de nous
projeter dans les êtres comme dans les choses.

    Ce qui par exemple, m'a fait dire un jour dans une conversation ici même :
"Tu sais, je suis un peu rébarbatif à tout ce qui concerne l'ordinateur."
On m'a repris gentiment sur cette faute de langage, pourtant je n'avais pas
le sentiment de l'avoir faite. Je considérais naturellement que l'ordinateur
ayant pris une certaine importance dans ma vie, il pouvait m'apparaître
aussi rébarbatif que je l'étais pour lui. Mais comme un ordinateur n'a pas
d'esprit (encore que, il y arrive presque aujourd'hui...), je m'étais
simplement mis à sa place et j'avais pensé pour lui. Prenons garde que cette
idée ne soit prémonitoire, et à l'inverse, le jour est déjà presque là où
les ordinateurs ne feront plus que penser pour nous.

    Une jolie façon de se raccrocher aux branches, m'a-t-on dit ; mais si on
réfléchit à la relation homme-ordinateur ce sont des situations qu'on
rencontre tous les jours, sans s'en rendre compte. Dans tous les domaines de
la robotique, aussi rudimentaire soit-elle, on donne à réaliser aux machines
exactement les mêmes choses que l'on ferait si on était à leur place. Ainsi,
dans le fait d'allumer un four, ou que sa programmation le fasse démarrer
tout seul, l'action est la même.

    Pour revenir à la relation entre le photographe et son modèle, que ce
soit une femme, un homme, un animal, ou quoi encore, oui! un arbre ; on peut
projeter ce que l'on veut, éprouver de l'empathie ou de l'admiration, avoir un
désir de possession et même de domination, ce n'est pas en fin de compte ce
qui nous rapproche vraiment. Je pense qu'il faille dépasser encore le stade
de la projection pour être vraiment présent au monde et ainsi photographier
l'autre dans sa véritable présence.

    Je parlais tout à l'heure d'une photographie à double détente : Au
premier coup sans trop savoir je tire au jugé, c'est seulement au deuxième
coup ensuite dans l'image que je peux achever la bête. Mais bien entendu, la
bête, c'est moi ! En voyant ce qui est apparu soudain dans l'image, et que
je n'avais jamais vu auparavant, je me dis que déjà du premier coup j'étais
agonisant. Qu'est-ce que cela veut dire ? S'agit-il seulement, à la prise
de vue, d'une perte de contrôle, vous savez, comme dans la petite mort que
tout le monde connaît bien ? Je pense que la comparaison n'est pas valable,
car dans la petite mort, à part la perte de contrôle, on s'abandonne à notre
propre jouissance, jamais à celle de l'autre. On serait trop effrayé de s'être
manqué en s'apercevant seulement après coup, qu'il y a eu jouissance.

    Pourtant, dans la photographie, c'est cette forme d'abandon qui
m'intéresse. C'est l'oubli de l'intention quelconque à vouloir quelque chose
qui seul peut donner un sens à la volonté d'être présent au monde. Je
rejoins ici d'Agata qui préfère abandonner l'appareil à son modèle, estimant
que lui contrôle trop. Mais moi, que vais-je faire de cette abnégation
superbe devant un arbre ? Alors j'utilise un subterfuge. Déjà je me mets en
condition de photographier ce que je ne vois pas mais ce que j'imagine.
C'est un très bon moyen pour s'oublier. L'imagination prend toute la place,
et comme dans un rêve on devient l'aveugle qui rêve. J'en ai fait
l'expérience depuis longtemps. La technique de la surimpression à la prise
de vue fut très efficace, ensuite j'ai pensé qu'avec les progrès techniques
je pourrais poursuivre en numérique, mais devant l'ordinateur tout redevient
visible, ce n'est plus possible, le rêve disparaît. Aujourd'hui avec la
photographie par assemblage je retrouve un outil formidable. A nouveau, à la
prise de vue la machine à fabriquer des rêves c'est remise en marche. De
plus et paradoxalement, cela demande une telle concentration d'un point de
vue technique qu'on oublie facilement le reste. Le reste, ce sont les choses
que l'on veut absolument voir, et que pourtant il nous faut savoir chasser
(!) pour ensuite dans leur image, les voir vraiment.

FiLH :

    J'aime bien faire des discursions animistes parfois, Mais si on
réfléchit à tes images recomposées de plusieurs points de vue comment ne
pas voir le lien avec plusieurs arbres qui partageraient leur vision
pour faire une seule image ?

albert :

    Animisme ? J'avais un ami Béninois, dans son pays il avait pratiqué le
culte du serpent. Il accordait de l'importance au fait que je sois jumeau,
surtout que j'aie une soeur jumelle. Je ne comprenais pas pourquoi. Il
rigolait : "C'est pas grave, de toute façon cela ne te regarde pas."

    Il y a beaucoup de choses qu'on aimerait savoir, mais qui ne nous
concernent pas. Peut-être les arbres établissent des connexions avec leurs
racines ou par l'ondulation de leur feuillage, et se font un light show de
leurs différents points de vue.

FiHL :

    Il semble que les arbres aient une constitution complexe : que certains
arbres n'ont pas un adn homogène, que certains pensent qu'un arbre est
une colonie plusqu'un individu... et qu'une forêt serait peut-être plus
complexe qu'une simple collection d'arbre....

FiHL :

Albert a écrit :
> de la projection pour être vraiment présent au monde et ainsi
> photographier l'autre dans sa véritable présence.

    Peut-être... mais où cela nous mène-t-il ? Dépasser pour atteindre quoi?

albert :

    Justement je ne sais pas, cela reste une interrogation. D'ailleurs si je
le savais je serais en contradiction avec mon intuition que la connaissance
empêche notre présence au monde. On pourrait faire le lien avec le problème
de la physique quantique où l'appareil de mesure par son interaction avec ce
qui est mesuré, fausse les résultats de l'expérience. En extrapolant à notre
niveau macroscopique, je dirais que l'appareil photographique est un bon
outil, au moins il n'est pas supposé intervenir sur l'environnement, mais
seulement l'enregistrer. Pour le photographe c'est une autre affaire. Donc,
plutôt que de préconiser une action ou une volonté de sa part, il faudrait
préférer un état d'esprit proche de l'absence d'intention afin qu'il se rende
disponible dans sa relation au monde.

    Ce n'est qu'une indication, quelque chose qu'on doit garder à l'esprit,
et peut-être qu'au fur et à mesure de diverses expériences on arrive à le
cerner petit à petit. C'est aussi un paradoxe qu'on pourrait résumer ainsi :
On ne peut à la fois penser le monde et être présent au monde. Cette idée
soutient tout ce que j'ai pu raconter dans les messages précédents, et si je
reste cohérent dans la suite de mes questionnements, c'est que j'arrive quand
même à en sortir quelque chose. Il s'agit de mon histoire personnelle de
photographe bien entendu. Pourtant je pourrais te donner de nombreux
exemples d'expériences où on retrouve cette idée. Hier, notre ami Markorki
nous présente une belle image avec un bout d'arc en ciel très bien composé
dans le rythme du paysage. Il est seulement déçu car il a été pris au
dépourvu, n'ayant pu, le temps de s'extraire des sièges du 3ème rang du 4x4
etc..., réaliser celle qu'il voulait au départ avec l'arc en ciel en entier.
C'est très bien d'être pris au dépourvu...

FiHL :

     Oui, il y a de multiples façons de lâcher prise, y compris lâcher prise
sur une chose en s'accrochant fortement à une autre :)

FiHL :

    À partir de quand perdons nous le contrôle ? Assurément quand la chose
est publiée ? Quand elle est faite ? Quand nous la faisons ? Ou dans
l'ivresse ?

albert :

    Assurément quand nous la faisons, et même avant dans notre disposition à
photographier. Quand la chose est publiée on a déjà repris le contrôle
depuis longtemps et cela ne nous concerne plus.

FiHL :

Albert a écrit :
> Le reste, ce sont les choses que l'on veut absolument voir, et que pourtant
>il nous faut savoir chasser (!) pour ensuite dans leur image, les voir vraiment.

    C'est un point de vue paradoxal et intéressant.

albert :

    Le fait de chasser (!) à coup de balai, à coup de fusil ?

    En résumé, on devrait chasser ses idées préconçues sur ce que l'on voit,
afin de se laisser aller à photographier ce que l'on ne voit pas, pour
ensuite dans le résultat de l'image découvrir ce qui mérite vraiment d'être
vu. Cela reste et restera toujours un peu obscur, on m'excusera, mais
jusqu'à maintenant c'est la seule formulation que j'ai trouvée.

FiHL :

    Mais la perte de controle... demande un minimum de richesse. Perdre le
contrôle sur une âme vulgaire... ne donne que de la vulgarité...

albert :

    Je ne comprends pas très bien qui et qui perd le contrôle ?

FiHL :

    Le photographe, le créateur de la chose... comme le disait théophile
Gauthier un maquignon qui consommerait du hashish rêverait sûrement de
belles vaches, et sûrement pas des paradis élyséens que lui et ses amis
visitaient...

albert :

    Et qui est vulgaire ? Il y a des cas où ce n'est ni l'un ni l'autre,
juste la situation, entre deux, si bien exprimée un jour par toi même sans
le savoir, et aussi il y a longtemps par ces vers d'Apollinaire :

Ennoblissons mon coeur l'imagination
La pauvre humanité bien souvent n'en a guère
Le vice en tout cela n'est qu'une illusion
Qui ne trompe jamais que les âmes vulgaires
-Poèmes à Lou-

FiHL :

    Sans le savoir ? Quand ? précise cela m'intéresse...

albert :

    Je précise donc : Sans le savoir de cette situation qui supportait à
elle seule ce qui est vulgaire. Tu sais, c'est comme dans le roman de Boris
Vian, "L'Arrache-coeur" : Le bonhomme La Gloïre. "Un homme âgé dont le travail
consiste à repêcher avec les dents les choses mortes ou pourries jetées dans
la rivière rouge. Il doit digérer la honte de tout le village ; les villageois lui donnent
beaucoup d'or qu'il ne peut dépenser pour qu'il ait des remords à leur place."

    Mais c'est bizarre, je ne retrouve pas sur ton site le titre "entre
deux" où "l'entre deux". Pourtant cela m'avait fortement impressionné à
l'époque, cette capacité à se situer entre les choses, entre les êtres. Entre les
plis de l'être. Ce qu'on ne montre pas et qui pourtant est le premier présent.

fr.rec.photo - Discussion du 01/02 au 06/02/2012 - à suivre...

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