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Curriculum vitæ

 

   Il y a très longtemps on m'avait offert un Polaroïd pour mon anniversaire. Merveilleux cadeau. Dès que je l'eus en mains, j'ouvris la porte de la cuisine et sur le seuil je fis ma première photo. Ensuite une fois sorti dans l'arrière-cours, j'épuisai la pellicule au milieu des graviers et des feuilles mortes. Bien plus tard je revenais souvent faire quelques images. Je ne sais pas pourquoi, c'était un lieu un peu triste et insignifiant. Ou alors il y avait une raison cachée, comme dans l'Arrache-Coeur de Boris Vian, quand les enfants derrière la maison cherchent sous les pierres :

"Il en tendit une à Citroën qui la regarda avec intérêt mais la repassa à Noël. Cependant Joël dégustait la sienne.
– Pas fameux, dit-il. On dirait du tapioca.
– Oui, dit Citroën, mais les bleues, c’est bon. C’est comme de l’ananas.
– C’est vrai ? demanda Joël.
– Et après, on vole, dit Noël.
– On ne vole pas tout de suite, dit Citroën. Il faut travailler avant.
– On pourrait peut-être travailler d’abord, dit Noël. Après, si on en trouve des bleues, on volera tout de suite quand même.
– Oh ! dit Joël qui creusait pendant ce temps-là, j’ai une belle graine toute neuve.
– Montre, dit Citroën.
C’était une graine presque aussi grosse qu’une noix.
– Il faut cracher dessus cinq fois, dit Citroën et elle va pousser.
– Tu es sûr, demanda Joël.
– Sûr, dit Citroën. Mais il faut la poser sur une feuille fraîche. Va en chercher une, Joël.
De la graine, il sortit un arbre minuscule aux feuilles roses. Dans ses branches de fil d’argent grêle voltigeaient des oiseaux chanteurs. Le plus gros était juste aussi gros que l’ongle du petit doigt de Joël."


    En réalité la véritable raison fut tout autre. Ce cadeau d'anniversaire me venait d'une sorte d'oncle d'Amérique, un voyou un peu idiot n'ayant pas réalisé que la pellicule gentiment placée dans l'appareil puisse être la seule, les suivantes aux yeux de mes parents beaucoup trop chères pour le simple plaisir d'un enfant. Immense frustration. C'est sûrement à cause de cela que devenu photographe ma principale motivation a été de retrouver avec acharnement l'extase des premiers moments.

 

  

Le jardin aux sentiers qui bifurquent

 

Lettre envoyée au conservateur du musée de D. une ville très proche à vol d'oiseau. Complément pratique pour le CV : 

 

Cher Monsieur,

Il y a quelque jours j'ai reçu une réponse des services du musée suite à ma présentation en tant qu'artiste photographe, et mon souhait d'un rapprochement ou même un projet d'exposition. Comme on me communique votre adresse mail, je m'empresse de vous écrire.

En donnant hier un titre à ma dernière création photographique : "albert au pays des algorithmes", je me suis dit que ce serait une très bonne idée de vous proposer ce thème d'actualité, associant la science contemporaine à l'imaginaire de l'artiste. Photographe de l'imaginaire, depuis l'argentique jusqu'à l'outil informatique actuel, j'ai gardé une constance. Malgré la diversité des sujets et des techniques employées, j'ai toujours raconté la même chose, l'histoire de la photographie quand elle construit un nouveau monde, quand elle apporte en plus de la preuve du réel, la preuve de l'imaginaire. 

Avec l'Intelligence artificielle (IA) et ses algorithmes, la photographie a fait un bond énorme. Elle a tout simplement effacé dans la représentation du monde les limites entre le réel et l'imaginaire. Dans ce cas vous me direz : A quoi bon deux preuves ? Une seule suffit. Mais alors le réel-imaginaire ne veut plus rien dire. Et pourtant maintenant il règne en maître. La fusion ou confusion que cela entraîne est dangereuse selon notre attitude, soit nous nous voulons actifs et créatifs, alors le danger nous stimule, soit nous restons passifs. En déléguant un savoir à des outils que nous sommes incapables de manipuler donc de maîtriser, ce sont eux qui nous manipulent. Le double sens du terme "manipuler" est ici évocateur.

Je ne prétends pas dominer le sujet de l'imaginaire dans toute son ampleur, mais au fur et à mesure de mes pérégrinations, aguerri aux frontières du réel, j'ai pu réunir de nombreux témoignages photographiques et élaborer une réflexion soutenue à partir d'eux. Je pourrais ainsi par les images et les textes contribuer à éclaircir la vision que l'on a du monde aujourd'hui. Montrer ce qu'est vraiment une illusion dans le contexte de la thématique proposée, et l'étendre selon votre avis, vous êtes meilleur juge que moi des besoins du public, vers d'autres problématiques auxquelles je n'aurais pas pensé.

J'aimerais vous présenter de façon très succincte quelques aspects de mes travaux. Je souhaiterais afin de préciser les choses, obtenir un rendez-vous pour en parler directement avec vous, ceci pour plusieurs raisons. En premier lieu mon site Internet n'est pas d'un abord aisé. Il est ample comme "Le jardin aux sentiers qui bifurquent" de Borges. Je l'ai construit de façon organique à l'image de mon état d'esprit, plutôt que dans une taxonomie ordinaire. D'autre part, beaucoup de mes photographies s'expriment dans des formats de grandes dimensions. Une vue d'écran, même si parfois on peut zoomer un peu dans les détails, ne donne aucune idée de l'échelle, donc de l'impact réel d'un tirage qui dépasse la taille humaine. De plus, pratiquant la photographie par assemblage j'obtiens une qualité de définition permettant littéralement d'entrer dans l'image. Je pense donc qu'il me serait nécessaire de venir installer et dérouler sur un de vos murs au moins un de ces tirages. Le protocole d'accrochage est simple et discret, il demande juste un petit peu de temps.

Pour revenir à mon préambule, voici le lien vers la photographie "albert au pays des algorithmes" :
http://photo.imaginaire.free.fr/algorithmes_01.htm

Le commentaire qui l'accompagne n'est pas du tout sérieux, et pour autant pas aussi candide qu'il n'y paraît. D'ailleurs ce serait une piste intéressante si on voulait élaborer une scénographie appropriée, que d'une image à l'autre, se dévoilent petit à petit les mécanismes qu'elles contiennent, et aussi tels qu'ils nous imprègnent, nous. La révélation de l'illusion, moteur de création tout autant qu'outil de manipulation comme cité plus haut, est mieux ressentie si elle vient de nous plutôt que de l'extérieur, énoncée froidement. C'est comme dans la cuisine ou la magie, les recettes en elles mêmes ont peu de saveur.

Cette première photographie est toute récente, elle date de la semaine dernière. Dans la chronologie du site les images les plus récentes se trouvent depuis ces quatre pages de vignettes (les vignettes en haut des pages) et dont voici les adresses :

Assemblage Chap.8
http://photo.imaginaire.free.fr/general8.htm

Assemblage Chap.9
http://photo.imaginaire.free.fr/general9.htm

Panorama
http://photo.imaginaire.free.fr/general2.htm

Grand carré chap.1
http://photo.imaginaire.free.fr/general1.htm
Dans cette page où s'entrecroisent et se mélangent les époques, à l'inverse des autres l'accès aux images récentes se fait 
par le bas de la pyramide...

Une vignette amène l'image, tout comme cette image peut parfois être le début d'une longue série, il suffit de cliquer dessus pour aller à la suivante.


En suivant le chemin (holzwege) du pays des algorithmes, cette vue du jardin :
http://photo.imaginaire.free.fr/bestioles_01.htm

Ou encore :
http://photo.imaginaire.free.fr/dans-le-futur_01.htm

Et aussi :
http://photo.imaginaire.free.fr/&arche_01.htm
Il n'y a pas de commentaire, le titre est suffisamment explicite.

Bien entendu cet aperçu en quatre images est disparate. Pour mieux montrer les choses il faut les organiser en fonction d'un espace, de la circulation du sens et inversement, et les dynamiser selon les formats et les types de supports employés.

Beaucoup d'autres vues pourront jalonner ce parcours, même les plus anciennes, quand mon Nikon argentique fonctionnait aussi bien qu'un ordinateur si ce n'est mieux. Au fond ce qui compte ce n'est pas tant la technique, elle apparaît toujours comme un épiphénomène du processus de création. Le véritable moteur est dans la volonté de réaliser l'impossible (quitte à fabriquer ou trafiquer sa propre technique). Pour chaque époque il y a des limites à franchir et à dépasser, ce en quoi j'estime être de mon temps. Mais plus encore, il y a des énigmes, des paradoxes qui demeurent, inaltérables. C'est vers eux que je me tourne.

On pourrait aborder le sujet avec une photographie révélatrice et son commentaire utilisé comme table d'orientation :
http://photo.imaginaire.free.fr/reve-de-chien_01.htm
Par l'analyse de cette image intitulée : "Rêve de chien", j'interroge toutes les étapes du processus de création. J'en fais une description phénoménologique, au plus proche, en mettant ma réflexion au diapason de ce que j'ai vécu. Je raconte l'image comme j'en ai réalisé les prises de vue et comment plus tard je les ai assemblées, essayant de conserver dans mes paroles le même élan de la découverte et de l'expérimentation au cœur des nombreuses contradictions qui jalonnaient mon parcours. Je n'ai pas tenté de les résoudre puisque je les avais provoquées, persuadé que ce sont elles qui font vivre l'image. Je veux dans le texte simplement les décrire, cerner leur origine, établir des correspondances, savoir comment les rendre viables afin d'être capable plus tard d'en retrouver l'esprit dans d'autres photographies.

Je conclus en citant Wittgenstein qui, au delà de la critique du langage admet la pérennité du mystère. La photographie est un langage. Wittgenstein nous dit qu'à la fin du langage il reste quelque chose devant quoi il vaut mieux se taire. Pendant que la photographie elle, continue à produire des images. 

En dépassant l'analyse critique qui fournit seulement des clés pour l'observation de l'époque et des technologies actuelles, j'offre d'abord un témoignage direct sur la sidération que l'on est capable d'éprouver, à toute époque, face au mystère. Mais pour cette invitation au voyage, ce n'est pas comme l'arrivée en gare des Frères Lumière, ou le voyage dans la lune de Georges Méliès, de mon coté je n'ai rien inventé, et je poursuis leur travail discrètement, tellement discrètement d'ailleurs que dans le jeu entre le réel et l'imaginaire, la plupart du temps on y voit rien. C'est de cette sidération là dont je veux parler.

J'espère que cette présentation n'a pas été trop longue. Je vous remercie d'avance pour votre attention.

Cordialement,

albert lemoine